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L'Uniterrsaliste Andromede60

Agriculture biologique productive : Oui c'est possible

29 Septembre 2012 , Rédigé par Andromede Publié dans #Commerces (Bio - Equitable - Solidaire...)

 

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En Côte-d’Or, une expérience de l’Inra, réalisée ces dix dernières années sur 20 hectares, prouve qu’une agriculture écologique et productive n’est pas une utopie.

«Et voilà notre fierté de l’année.» D’un geste large, Nicolas Munier-Jolain, de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) balaye le champ de blé. Nous sommes début juillet, le grain sera moissonné d’ici peu. Le champ semble banal aux yeux du citadin. L’œil exercé de l’agriculteur, lui, aurait tout de suite repéré des détails révélateurs. Cet étrange mélange de blés sur un seul champ, les uns très «barbus», les autres non. Ou la densité du semis, deux fois plus élevée que d’ordinaire. Il sursauterait à la vue de ces quelques chardons, des liserons par-ci par-là, grimpant sur les blés, des coquelicots mettant une touche de rouge. Surtout, au milieu du champ, quelques dizaines de mètres carrés où dépassent de nombreuses têtes de vulpins pourraient bien l’alerter. Des «mauvaises herbes», admet l’agronome qui précise toutefois : «Pas en quantités suffisantes pour affecter réellement le rendement.»

 

Un garde-manger gratuit

Or, poursuit Munier-Jolain, «ce champ n’a pas reçu le moindre traitement d’herbicide depuis douze années consécutives». Le citadin se contenterait de soulever un sourcil, d’opiner que «c’est bien, une agriculture qui pollue moins». Les agriculteurs, dotés de cette information, se montrent surpris, admiratifs ou dubitatifs, comme en témoignent les visites nombreuses. Selon leur expérience, c’est un champ de mauvaises herbes qu’ils devraient avoir sous les yeux et non un champ de blé où les mauvaises herbes semblent contrôlées à un niveau acceptable. D’où le «vif intérêt [qu’ils manifestent]», raconte Munier-Jolain.

Ce champ de blé si particulier se trouve sur le site d’Epoisses (Côte-d’Or) de l’Inra, près de Dijon. Pas moins de 140 hectares où agronomes, biologistes, ingénieurs et techniciens réalisent des expériences en plein champ, sur «l’agroécologie de la parcelle cultivée».

Le domaine provient d’un monastère fondé par les ducs de Bourgogne au XIIe siècle. Il en reste la salle du Chapître, où Nicolas Munier-Jolain relate que ce fameux champ de blé «sans herbicides» n’est pas seul. Avec dix autres champs, il fait partie d’un programme démarré en 1997. A l’époque, l’Inra le recrute dans une équipe chargée d’une nouvelle question : peut-on cultiver sans herbicide, ou à défaut, le moins possible ? Bilan de l’expérience pionnière qui s’y déroule depuis dix ans : «Il est techniquement possible de cultiver à grande échelle nos céréales sans herbicide, ou du moins en réduisant drastiquement leur usage, avec une faible diminution des rendements à l’hectare.»

 

Formidable retournement de situation. Depuis dix mille ans, l’agriculteur lutte contre les «mauvaises herbes». Après les avoir presque inventées. «S’il n’y avait pas d’agriculture, il n’y aurait pas tant de mauvaises herbes», souligne un brin sarcastique l’agronome. Paradoxe ? L’explication se trouve au cœur d’une vision lucide de l’acte et de la geste agricole depuis ses origines. Cultiver un champ, c’est certes fabriquer un garde-manger gratuit et surabondant pour les «ravageurs» (insectes, champignons, herbivores). Mais c’est aussi préparer le terrain, littéralement parlant, pour les plantes sauvages s’épanouissant dans les mêmes conditions que la plante domestiquée semée. L’agriculteur sélectionne et favorise ainsi l’expansion de ces mauvaises herbes de manière involontaire. L’archéologue suit leur progression, du Moyen-Orient à l’ouest européen, lorsque les agriculteurs y colonisent de nouvelles terres, de 10 000 à 4 000 ans avant J-C.

 

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Dix parcelles, quatre stratégies

L’agriculteur ne peut se contenter d’observer sans réagir la lutte darwinienne entre son semis et ces adventices (le terme d’agronomie pour les mauvaises herbes) compétitrices. Le combat pourrait tourner au désastre pour son exploitation tant il est inégal. Car la plupart des mauvaises herbes disposent d’une arme absolue : produire un stock de graines dix, cent, cinq cent fois plus nombreux que la plante cultivée. 

Lors du premier semis dans un champ nouveau, la plante domestiquée se montre souvent capable d’écraser ses compétitrices puisqu’elle domine en nombre de graines. Puis, les adventices vont, année après année, «accumuler dans le sol un énorme stock de graines» qui lui permettra de prendre le dessus. Adieu blé, colza, maïs et orge - donc pain, huile, bière et cochons - bonjour vulpin, chardon, moutarde, renouée, gaillet, folle avoine… Que faire ?

Durant des millénaires, l’agriculteur a lutté à l’aide d’outils manuels, pour arracher les mauvaises herbes de son champ. Il a diversifié les cultures dans l’espace et le temps afin de perturber le cycle végétatif de ses ennemies. Intégré des cultures sarclées, pour «nettoyer» le champ des mauvaises herbes, et des prairies fourragères entre les céréales. Deux milliards d’agriculteurs, souvent pauvres et aux productions aléatoires, poursuivent ainsi ce combat.

Les pays industrialisés ont, dans les années 50, inventé de puissants produits chimiques herbicides. Couplés aux autres innovations agricoles (mécanisation, engrais, sélection des semences, insecticides et fongicides), ils ont participé à l’explosion des rendements des grandes cultures céréalières. La production française de blé tendre atteint ainsi près de 80 quintaux à l’hectare en moyenne en 2009, contre 50 à la fin des années 70 et dix seulement vers 1850. Même si cette moyenne d’il y a un siècle et demi était tirée vers le bas par des terroirs à très faible rendement ensuite abandonnés, la progression fut fulgurante.

 

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Place aux tueurs mécaniques

Le rôle spécifique des herbicides fut de permettre une «simplification et une spécialisation extrême» des systèmes agraires, explique l’agronome. Dès lors qu’il peut écraser les mauvaises herbes sous la puissance de feu de l’herbicide, l’agriculteur peut industrialiser son mode d’action. En Bourgogne, cela donne souvent la rotation simplissime «blé, orge, colza, trois cultures dont le cycle cultural est très similaire», explique Munier-Jolain, aux rendements élevés. 

Le prix de cette évolution radicale ? La pollution des eaux, une moindre variété de cultures et une synergie avec les insecticides qui sape la biodiversité, l’apparition de résistances qui poussent à l’usage accru des herbicides, le tout se terminant par un système «non durable», insiste Munier-Jolain. 

Une absence de durabilité qui est aussi légale, avec la menace des interdictions de produits chimiques, comme pour l’atrazine sur le maïs dès 2001, puis dans toute l’Union européenne en 2004. L’objectif officiel est de diminuer de 50% les pesticides d’ici à 2018 affirme le plan gouvernemental Ecophyto, dont les herbicides. Mais comment ? Il faut «revenir à l’agronomie», répond l’agronome. D’où, après quelques années de modélisation du «complexe champ et adventices», la mise sur pied d’une expérience à grande échelle à Epoisses, en 2000. Dix parcelles de deux hectares - un petit champ mais représentatif du réel - y sont consacrées. Mission : tester sur la durée quatre stratégies possibles de réduction des herbicides, en double exemplaire, comparées à une culture en agriculture raisonnée.

L’objectif n’était pas de tester un outil agronomique particulier «toutes choses égales par ailleurs», explique Munier-Jolain. Mais une exploitation la plus proche possible des contraintes réelles d’un agriculteur. Jusqu’au bout de l’exercice : le bilan économique, coûts et bénéfices de la vente des produits.

Quatre stratégies de «protection intégrée» ont été testées avec différents niveaux de diminution des herbicides : -50%, -70% et -100%. S’y ajoute l’objectif de diminuer les engrais, les insecticides et les fongicides dans la perspective d’une agriculture économe en «intrants», durable et moins agressive pour les sols et la biodiversité.

Puisque la chimie est exclue, place aux tueurs mécaniques. Devant un hangar, l’agronome détaille des outils de désherbage mis en œuvre par les techniciens de l’Inra sous la houlette de Pascal Farcy. Des herses-étrilles, des bineuses ou des houes rotatives dont les dents arrachent et scalpent les mauvaises herbes. Ou disposent de doigts souples en caoutchouc qui viennent «grattouiller la terre au pied des plantes». Le trio blé, orge, colza bourguignon a été délaissé au profit de rotations complexes, étalées sur plusieurs années (en agriculture biologique des rotations de huit ans sont courantes). Objectifs : varier les compétitions entre plantes cultivées et mauvaises herbes. Retarder les dates de semis pour détruire les mauvaises herbes dès qu’elles sortent de terre, et semer ensuite. Ou les étouffer par un semis deux fois plus dense que d’habitude. Introduire «des cultures de légumineuses», dont la luzerne, capables d’utiliser directement l’azote de l’air et donc d’éviter l’usage d’engrais en ravitaillant le sol en matière organique.

 

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«Je fais quoi de cette luzerne ?» 

Le bilan technique dressé par l’agronome, publié dans des revues scientifiques (1), semble positif. Les analyses des sols par carottages montrent que le stock de semences des mauvaises herbes n’est pas plus élevé qu’il y a douze ans. La biodiversité des sols en micro-organismes a augmenté comme la densité des fouisseurs (vers de terre). Le bilan en terme d’émissions de gaz à effet de serre est neutre. Le travail supplémentaire lié au désherbage mécanique peut se compenser par un étalement des interventions au long de l’année. Et la diminution du rendement est grossièrement compensée par celle des coûts. 

Pourtant, Nicolas Munier-Jolain refuse de transformer ce résultat en belle histoire pour écolo urbain. «Il n’y a pas de miracle», préfère-t-il avertir. Démonstration par une parcelle du scénario sans herbicide du tout. Le champ est semé de luzerne, fauchée il y a peu. C’est la réponse à une «infestation» de chardons, tandis que de la renouée liseron s’étale partout. Il faudra trois ans de culture de luzerne, fauchée régulièrement, pour que les chardons épuisent leur réserve souterraine (les rhizomes) en cherchant à la dépasser et finissent par mourir. Certes… Mais «je fais quoi de cette luzerne ? Sa vente couvre-t-elle la non culture de blé durant trois ans ?» s’interrogera l’agriculteur.

Pour l’agronome, qui se mue en économiste agraire, la question relève moins de la valeur intrinsèque de la production - la luzerne se vend aux éleveurs - que du système économique. Il faut organiser des marchés permettant la commercialisation de produits plus variés, inciter à des productions permettant de s’affranchir des importations de tourteaux de soja pour animaux, déployer une vision agrosystémique à l’échelle régionale… C’est plutôt là que «le bât blesse», admet-il.

L’agronomie propose des solutions techniques adaptées et non un illusoire et simpliste retour en arrière au défi des herbicides. Mais le cadre socio-économique susceptible de les accueillir reste à inventer. Sa mise en œuvre transformerait l’économie agraire, les circuits de commercialisation et jusqu’aux paysages en s’attaquant aux monocultures et en promouvant des cultures plus diversifiées.

(1) Violaine Deytieux et al, European Journal of Agronomy, 2012.

Source : Libération

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